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Mercato - Un algorithme pour contrôler le marché des transferts, est-ce vraiment possible ?
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Publié 10/06/2024 à 01:07 GMT+2
En février dernier, Gianni Infantino a confié qu’il était ouvert à la création d’un algorithme pour contrôler les transferts. L’idée : s’il se fiait à une estimation objective de la valeur d’un joueur, le mercato gagnerait en transparence. Le mercato estival ouvre justement ses portes ce lundi : alors, est-il crédible d'imaginer un modèle permettant de valoriser n'importe quel joueur ?
Cristiano Ronaldo le 3 janvier 2023 à Al-Nassr.
Crédit: Getty Images
C’est une de ces saillies qui sont toujours du plus bel effet mais qui n’engagent absolument à rien, comme les affectionne Gianni Infantino. Au cours de la conférence juridique annuelle de la FIFA, qui s’est tenue le 2 février dernier à Tokyo, deux jours après la clôture européenne de la fenêtre hivernale du marché des transferts, l’Italo-suisse a confié qu’il était ouvert à "la fixation des indemnités de transfert par algorithme".
Derrière cette formule un peu barbare, le président de l’institution reine du football a précisé que l’idée était "d’estimer la juste valeur des indemnités de transfert, afin d’accroître la transparence du système de transfert et d’aider les acteurs". Au vu de la fuite en avant toujours plus délirante des sommes avancées pour enrôler un joueur, sommes qui sont de plus en plus utilisées comme un levier financier à part entière par les clubs, l’ambition est louable. Mais Loïc Ravenel, co-créateur de l’Observatoire du football rattaché au CIES (Centre International d’Etudes du Sport) depuis 2011, n’est pas dupe. "L’algorithme ne va pas résoudre le problème des transferts, cingle-t-il. A mon avis, créer un modèle global qui donne un résultat dès que l’on veut connaître la valeur d’un joueur, c’est quasiment impossible."
De la difficulté d’être exact
Quasiment impossible du point de vue sportif d’abord : car objectiver la valeur d’un joueur apparaît en effet comme une tâche extrêmement complexe. "On ne peut pas évaluer de la même manière Kylian Mbappé, ou un joueur des grands championnats européens, avec un joueur du championnat de Saint-Christophe-et-Niévès ou de Namibie", vulgarise d’abord Loïc Ravenel. Entendre : marquer 44 buts avec le PSG fait de vous un joueur à la valeur plus importante qu’un collègue ayant marqué 44 buts avec l’African Stars FC de Windhoek. Rien d’étonnant jusque-là.
Des paramètres objectifs existent tout de même pour chiffrer la valeur d’un joueur sur le marché : l’âge, le salaire, le parcours, la durée du contrat, et plein d’autres données qui permettent de préciser la valeur d’un joueur. D'ailleurs, des simulateurs performants sont déjà établis dans le football moderne ; celui du CIES notamment. "Le CIES estime statistiquement une valeur pour les joueurs, expose Luc Arrondel, économiste rattaché au CNRS spécialiste du ballon rond. Pour cela, il explique les montants des transferts passés en fonction d'un certain nombre de déterminants (comme ceux énumérés plus haut, ndlr). L'équation estimée sur les transactions passées permet alors de faire des prévisions sur la valeur de marché de tous les footballeurs." Cette construction statistique a permis au centre d'études de développer un modèle reconnu et performant, même si celui-ci n’inclut pas les critères humains pouvant entrer en ligne de compte – l'entourage du joueur, ou son caractère par exemple. Aujourd’hui, nous apprend Loïc Ravenel, plusieurs clubs travaillent avec l’institution pour faire évaluer leurs joueurs, et ainsi présenter des chiffres solidement construits lors de négociations ultérieures.
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Miralem Pjanic.
Crédit: Eurosport
Un autre organisme est passé maître au niveau de la valorisation des joueurs de football : le site allemand Transfermarkt. Devenue une référence telle que même le président du Barça, Josep Bartomeu, s’était caché derrière ses résultats pour couvrir l’échange véreux d’Arthur Melo et Miralem Pjanic, Transfermarkt ne s’appuie pourtant sur aucune donnée objective. Seule la discussion des milliers de contributeurs de la plateforme aboutit à un résultat chiffré : Transfermarkt se fait une fierté de ne pas baser ses valeurs sur un algorithme. "C’est du doigt mouillé, résume Loïc Ravenel, mais pas complètement, car il y a beaucoup de discussions. Du doigt mouillé avec une intelligence collective."
Et justement, le poids qu’a pris Transfermarkt illustre toute la difficulté d’objectiver la valeur d’un joueur sur le marché. "Les agents peuvent pousser cette valeur, les supporters d’un club peuvent la pousser… Le problème, c’est la transparence, problématise Loïc Ravenel, qui n’hésite pas à aller plus loin. Mais justement, une partie du monde du foot aime bien cette opacité." Il n’y a qu’à essayer de s’intéresser à l’affaire tentaculaire liée aux commissions de transfert au sujet de laquelle Damien Comolli, le président de Toulouse, et plusieurs autres personnalités du football français seront auditionnées à Marseille le 21 juin pour le comprendre.
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Damien Comolli, le président du TFC
Crédit: Getty Images
Le flou persistant autour de ce milieu complexifie encore la nature des transactions et donne les mains libres aux entremetteurs pour réaliser des montages financiers. Même si plusieurs clubs apprécieraient, selon Loïc Ravenel, de pouvoir s’appuyer sur une estimation objective officielle de la valeur d’un joueur pour clarifier les négociations, il est évident que toutes les personnes qui gravitent autour d’un transfert ne sortiraient pas gagnants d’une telle réforme. L’exercice de la profession d’agent a beau avoir été repris en main par la FIFA l’an passé, difficile de croire que personne ne s’opposerait en sous-main à une telle refonte du mercato. "Le principal problème de fixation des prix par un algorithme est qu'il amalgame la valeur d'usage, soit le prix "subjectif" déterminé à partir des caractéristiques du joueur, et la valeur d'échange, soit le prix observé pendant les transaction, distingue par ailleurs Luc Arrondel. Or, ces deux valeurs peuvent se différencier : si un club veut payer plus que le prix estimé par l'algorithme, pourquoi l'en empêcher ?" Bref ; il n’est pas né, l’algorithme qui régira les transferts du football mondial.
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